vendredi 10 juin 2016

ROSE 42

 
                                               BÉBÊTE

Ces "manœuvres contre-nature" — ainsi que les qualifie Rachad —, ne dureront pas longtemps. Vingt-quatre heures à peine après son adoption, le petit chat parvient à s'alimenter seul.
— Il faudrait lui trouver un nom, dit Amir, qui a accepté d'emblée ce nouveau membre dans sa famille. Au fait, c'est un jeune homme ou une demoiselle ?
— Ça…! J'ai eu beau l'examiner sous toutes les coutures, impossible de déterminer son sexe.
— On ne peut quand même pas l'appeler indéfiniment "le chat".
— Surtout si c'est une chatte. Mais d'autre part, on aura l'air fin si on le baptise d'un nom féminin alors que c'est un mâle, ou l'inverse.
La solution est trouvée par Grégoire l'après-midi même, voici dans quelles circonstances :
Il est un peu plus de trois heures. Amir lit une B.D. sur la terrasse, auprès du berceau d'Olivier qui gazouille. Sur la table de jardin, Rose replie les langes qu'elle vient de décrocher de la corde à linge.
— Je ferais bien du thé, décide-t-elle soudain. Tu en veux ?
Elle se lève, se dirige vers la porte vitrée… et brusquement s'arrête. La voix de son fils lui parvient de la cuisine, curieusement autoritaire :
— Mange, bébête ! Mange !
Inquiète, elle se précipite.
— Grégoire, que fais-tu là ?
Le petit garçon est si absorbé qu'il ne réagit pas. Accroupi près de l'évier, il "joue" avec le chaton qui se débat tant qu'il peut.
— Eeeeh ! s'écrie Rose, en lui arrachant l'animal.
Le petit museau est couvert d'une épaisse couche de matière blanchâtre.
— Z'ai fait manzer bébête ! explique gravement Grégoire, en montrant l'assiette, remplie à ras bord de poudre à lessiver, dans laquelle il lui plongeait la tête.
— Tu l'as obligé à avaler ça ? T'es pas un peu malade, non ?
Rose s'empresse de débarrasser le malheureux animal des résidus plâtreux qui l'aveuglent, lui obstruent les narines, collent ses moustaches et son pelage. Il en a jusque dans les oreilles !
— Tu aurais pu le tuer, vitupère-t-elle. Les animaux ne sont pas des jouets, tu sais.  Ttttt, regardez-moi ce travail ! C'est fini, mon pauvre minet, c'est fini. Tiens, bois un peu d'eau pour te remettre.
— N'empêche que, maintenant, il est baptisé, fait une voix derrière elle. 
Rose se retourne. Aperçoit son mari, hilare.
— Tu trouves ça drôle ?
— Très.
— Curieux sens de l'humour. Enfin… que disais-tu à propos de "baptême"?
— Que Grégoire avait trouvé le nom idéal.
— Lequel ?
— Bébête. Il convient aussi bien à un mâle qu'à une femelle. En plus, il sonne bien : Bébête ! Bébête !
— Mouais, admet Rose, mi-figue mi-raisin.
Elle attrape son fils par le bras.
— Écoute-moi bien, Grégoire : si je te vois encore ennuyer Bébête, c'est panpan-cucul, tu as compris ? Et tant pis pour toi si tu as bobo aux féfesses !
—Wahou ! pouffe Amir. Quelle envolée ! On sent tout de suite la littéraire…

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    (image epicureweb.fr)





2 commentaires:

  1. J'ai un aveu à faire... Cette anecdote, placée dans ce contexte et sous la responsabilité de Grégoire dans l'histoire, dans la réalité, c'est moi qui en suis responsable.... J'avais trois ans, je.. je ne savais pas ce que je faisais. Pour ma défense, "bébête" est devenu mon chat de chevet, elle me suivait partout (oui c'était une femelle) et je m'en servais comme oreiller :) Cette chatte et moi étions en symbiose !

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    1. Eh bien, voilà une vérité historique rétablie. Et comme je suppose qu'il y a prescription...
      Avec toi, je n'imagine même pas qu'un animal soit malheureux.

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