vendredi 17 juin 2016

ROSE 49

 
                                                          TERREUR

         Dans les jours qui suivent, la tension générale prend une ampleur sans précédent. Les nouvelles, déjà alarmantes, que diffuse la radio, sont propagées et amplifiées par une population en transes. Afin de prêter main forte à l'armée égyptienne, la Syrie, l'Arabie saoudite et la Jordanie mobilisent leurs troupes. Selon la rumeur, le conflit frontalier s'étendrait à présent jusqu'au Sud-Liban. La ville de Saïda elle-même aurait été touchée et, l'on y déplorerait de nombreux morts. Les camps palestiniens, situés aux abords de Beyrouth, seraient la prochaine cible des tirs israéliens… Bref, dans les petites rues de Zouk courent les bruits les plus catastrophistes, que Mona Aoun se charge de colporter pour les démentir une heure plus tard, faisant en continu la navette entre son domicile et la maison Tadros.
Terrée dans son jardin, ses bambins autour d'elle, Rose se sent comme une mère lapine à l'ouverture de la chasse. Il s'en faudrait de peu que, à l'exemple de Suzanne Vermeer, elle n'adjure le Ciel de la protéger. Sauf que c'est du ciel, justement, que vient la menace : l'espace aérien, saturé d'avions de tous bords, n'est plus qu'un terrain de manœuvres militaires que hantent des grondements permanents.
À la moindre alerte — et Dieu sait s'il y en a ! — Rose entraîne sa marmaille dans l'embrasure d'une porte, car c'est l'endroit, d'après les spécialistes, où l'on doit se réfugier en cas de bombardement.
— Tu arrêtes ton cirque ? lui crie Amir, sans interrompre ses accords de guitare. Ici, à Zouk, on ne risque rien. Combien de fois faudra-t-il te le répéter ?
— Si tu as envie d'être enseveli sous les décombres, libre à toi,  répond Rose. Mais moi, j'ai le sens des responsabilités.
Il lève les yeux au ciel, poursuit ses doudoum doudoum sur la voix langoureuse de Gabriel Askar :

Ton corsage est fermé sur un beau paysage
De collines, de prés et de sources sauvages…

Et dans la tête de Rose, aux collines, aux prés et aux sources de la chanson se substituent déjà les cendre fumantes de ce qui fut jadis le cadre de son bonheur.



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