mercredi 20 juillet 2016

ROSE 82

 

                                                           DOUTES

         Hélas, ça n'empêche pas de penser, bien au contraire. La couverture sous le menton, un loupiot à droite, un loupiot à gauche, Rose barbote dans ses doutes et ses contradictions. Tantôt, la colère l'emporte : « Non mais qu'est-ce qu'elle s'imagine, cette bonne femme ? Qu'il suffit d'un claquement de doigts pour que je lui tombe dans les bras ? » À cette idée, elle frémit de dégoût. « Décidément, les Nana (!), ce n'est pas ma tasse de thé. »
        Le souvenir de Claire et des soupçons pesant sur elles la distrait un instant.
         « Ah, là, là, les bonnes sœurs, comme fines psychologues ! Mona ne vaut guère mieux, note bien : espérer que je trompe Amir avec elle… Encore, bon, elle serait jeune et belle —style les héroïnes des livres de Colette —, ce serait, sinon possible, du moins plausible. Mais ELLE. Punaise, à croire qu'elle ne s'est jamais regardée dans une glace ! »
         À d'autres moments, son bon cœur prend le dessus :
         « La pauvre, elle a besoin d'amour, comme tout le monde. Et vu qu'elle ne supporte pas les hommes, elle prend ce qu'elle trouve, c'est-à-dire moi. Il n'y a aucune raison que ça me vexe. Je devrais plutôt être attendrie, à la limite. »
— Maman, où l'est, Nana ?
         — Elle est retournée chez elle, mon chéri. Elle avait plein de choses à faire.
« En plus, dans la culture arabe, les relations lesbiennes n'ont pas la même connotation que chez nous. C'est la réponse logique aux harems, à la polygamie, au machisme ancestral. »
— Ne gigote pas comme ça, tu vas faire tomber ton frère.  Allez, descends du lit et va jouer avec Julie.
« Pourquoi j'ai réagi aussi violemment ? Après tout, être désirée n'a rien de dégradant, même par une femme. Est-ce que, par hasard, j'aurais autant de préjugés que mes parents ? » 
— Arrête, Grégoire, on ne tire pas la queue des chiens ! Tu aimerais, toi, qu'on te tire les oreilles ?
« Ceci dit, elle aurait pu garder ses sentiments pour elle, cette grosse bêtasse… Et éviter de passer à l'acte, surtout ! C'est ça, en fait, qui m'a foutue en rogne : quelque part, j'ai ressenti son geste comme une sorte de viol. Rien que d'y penser, tiens, j'en ai la nausée .»
         Bref, la journée se passe en tergiversations. Et le soir venu :
         « Quel capharnaüm ! » se dit Rose, devant sa maison qu'une journée sans Mona a suffi à mettre sens dessus-dessous.
Est-ce ça qui balaie ses dernières réticences ? En tout cas, subitement, sa voisine lui manque. Mais vraiment, hein ! Assez pour qu'elle décide de passer l'éponge.
         « Voilà ce que je vais faire : dès que les enfants seront endormis, je l'appellerai et je lui dirai : « Hier, j'ai été choquée par ton attitude, mais à la réflexion, j'avais tort : si tu as envie de m'aimer, ça te regarde. Moi, je n'ai rien contre, à une condition : qu'il n'en soit plus jamais question entre nous.» C'est vrai, quoi : du moment qu'elle n'attend rien en retour — rien de physique, je veux dire — je ne vois pas pourquoi je me formaliserais. »

         Apaisée par cette sage décision, Rose attend patiemment la nuit.

        

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