mardi 26 juillet 2016

ROSE 88

 

                                   L’ATELIER

         Elle chasse aussitôt cet affreux soupçon.
         « Je le saurais, voyons ! Rachad me l'aurait dit, hier. N'empêche que… »
         Elle tend l'oreille.
         « … c'est tout de même étrange que je ne l'aie même pas entendue pleurer, cette petite. »
         En proie à une perplexité qui va croissant, elle poursuit son exploration. Et pénètre dans le salon.
         Ce qu'elle y découvre lui coupe la respiration.
         Car le salon n'en est plus un. Table basse et fauteuils ont disparu. À leur place, un lit — pas fait — et des tableaux, des tableaux, des tableaux… 
Rose a un mouvement de recul involontaire. Oh, elle reconnaît la griffe de Rachad, ses obsessions cosmiques. Mais le rêve galactique a viré au cauchemar. Les boules de couleur qui, jadis, évoquaient des constellations disséminées dans l'espace, se regroupent à présent pour former des visages. D'immenses faces de bébés au regard vide, posées, telles des planètes, au fond du firmament. Le tout dans une gamme de couleurs sourdes, à dominante de noir et de vert vénéneux.
         Quelles monstrueuses angoisses son beau-frère, si peu enclin à se plaindre,  a-t-il exorcisées ici ? De quels tourments morbides s'est-il débarrassé ? Rose l'imagine, à la nuit tombante, halluciné, écumant, extirpant de ses tripes les démons qui le rongent pour les jeter sur la toile.
         Peut-être crie-t-il de douleur, durant cet "accouchement"? Lui dont le stoïcisme est proverbial, peut-être se roule-t-il par terre en hurlant ?
         L'insoutenable vision arrache une plainte à Rose. Elle referme aussitôt la porte, avec le sentiment d'avoir, telle la femme de Barbe-Bleue découvrant le charnier de son époux, surpris un secret atroce. Et, le cœur en déroute,  elle s'empresse de retourner à ses si rassurantes préoccupations matérielles.
         « Tout ça, c'est bien joli, mais en attendant, mon pauvre Olivier a le derrière trempé. Et après, bonjours les rougeurs ! Il faudrait que j'aille chez moi chercher quelques affaires, mais je n'oserais jamais. Mona m'y attend peut-être, et après ce qui s'est passé… »
Elle frissonne.
« … l'affronter est au-dessus de mes forces. »
Que faire alors ?



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