dimanche 31 juillet 2016

ROSE 94

 

                             DOUBLE PRODIGE


Rose…
Mmm ?
Tu peux me garder Nadège cinq minutes ?
              Rose ouvre des yeux ronds. A-t-elle bien compris ? Sa belle-sœur lui tend le petit corps immobile qu'elle reçoit dans ses bras comme s'il s'agissait du Saint Sacrement. Et Omane s'éloigne, non sans se retourner deux ou trois fois, le regard anxieux
                — Faut-il qu'elle ait confiance en moi, se dit Rose, toute remuée.
                 Omane ne se sépare jamais de sa fille. Elle l'emmène partout, même aux toilettes. Et ne laisse à personne le soin de s'en occuper.
                  Enfin, ne laissait… jusqu'à cette seconde précise.
                  — Ça, c'est un événement,  dit Rose à sa nièce. Ta mère vient de franchir un grand pas, là. Tu ne t'en rends pas compte, mais c'est très important pour moi, pour elle… et pour toi.
                    Tandis qu'elle parle, les yeux de l'enfant la sondent, avec cette fixité glaçante à laquelle, maintenant, elle s'est habituée. D'un index léger, elle effleure le nez fin, les joues d'une pâleur quasi-translucide, la bouche sévère.
                    — Quand vas-tu me faire une risette, hein ? Une jolie petite risette pour tante Rose.
                    Olivier et Grégoire, en plein "parcours d'obstacles" avec la batterie de cuisine (c'est leur jeu favori, depuis quelques jours : sortir casseroles et poëles de l'armoire sous l'évier et les disséminer partout dans la cuisine, pour les contourner à quatre pattes) ; Olivier et Grégoire, donc, apercevant leur mère avec la petite cousine, rappliquent aussitôt.
Rose s'accroupit pour mettre Nadège à leur portée, tout en recommandant:
                    — Doucement, les garçons ! Doooucement !
                       Or, la douceur n'est pas la principale qualité de Grégoire, loin s'en faut. D'autant que la "casserole-party" l'a passablement excité. Il fond sur sa mère qui, sous cet assaut inattendu, perd l'équilibre, part en arrière… et lâche Nadège.
                        La petite fille atterrit sur carrelage —pas de bien haut, heureusement.
                     — T'es pas un peu malade de me bousculer comme ça ? hurle Rose en s'empressant de la ramasser. Regarde ce que tu as fait.
            Tombée, Adège,  constate placidement le coupable.
                          Rose, affolée, examine sa nièce sous toutes les coutures, et constate avec soulagement qu'elle n'a pas de marque. En revanche…
                           En revanche, avec un temps de retard, le visage impassible se froisse, les paupières qui ne cillent jamais se plissent, la bouche s'entrouvre… ET NADEGE ÉMET UN SON.
                            Rose, estomaquée, se rue vers la porte qui conduit à l'étage.
             Omane ! Omaaaane ! La petite a crié !
                            Entre-temps, le cri s'est mué en un pleur tremblotant. Avec une exclamation étouffée, Omane dégringole les marches et, partagée entre la joie et une inquiétude folle, arrache littéralement le bébé à Rose.
                         — C'est tout, ma gazelle… Mon amour… Ma fleur des sables… C'est tout, maman est là.  
Mais elle a beau faire, l'enfant ne se calme pas.
               — Chante–lui une berceuse, suggère Rose, c'est le meilleur moyen.
En désespoir de cause, la diva s'exécute. Et l'enfant se tait.

              Le soir, quand Rachad rentrera du travail; Rose lui annoncera, avec une fierté non dissimulée :
             — Tes deux femmes ont donné de la voix, aujourd'hui.
L'une et l'autre l'utiliseront, désormais.



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