dimanche 21 août 2016

ROSE 112

 


TROP C’EST TROP !

         Comble de malchance, Olivier s'est réveillé plus tôt que prévu. On l'entend couiner jusque dans la rue.
— Y a un problème ? s'affole Rose, en grimpant quatre à quatre l'escalier qui mène à sa chambre.
La scène qui s'offre à elle a de quoi la surprendre. Olivier, accroché aux barreaux de son lit-cage (prêté par une cliente qui n'en a plus l'usage) trépigne à qui mieux mieux pendant que sa grand-mère, indifférente en apparence, vaque dans la pièce, repliant les vêtements entassés sur les chaises, rangeant les jouets éparpillés par terre, époussetant les meubles...
— M'enfin, s'indigne Rose. Qu'est-ce que tu fabriques ?
Suzanne relève la tête, repoussant du doigt la mèche poivre et sel qui barre son front en sueur.
— Je mets un peu d'ordre dans ton capharnaüm, tiens !
De l'ordre ? Alors que le petit pleure ?
Elle soulève ce dernier, lui tapote le dos :
C'est tout, mon amour, c'est tout. Je suis là…
— Oui, il pleure, et alors ? Je ne l'ai pas laissé seul, j'étais ici, près de lui. Que voulais-tu qu'il lui arrive ?
 Il fallait le consoler, l'amuser, je ne sais pas, moi…
— Céder à ses caprices, quoi ! Comme d'habitude. Décidément, ma pauvre fille, tu es une bien piètre éducatrice. Tu veux donc qu'il devienne aussi turbulent que son frère ?
Devant ce qu'elle perçoit comme de la mauvaise-foi — ou même un brin de sadisme, n'ayons pas peur des mots —, Rose sent la moutarde lui monter au nez.
— Dis-le tout de suite, que tu n'aimes pas tes petits-fils, lance-t-elle agressivement.
— QUOI ? s'étrangle sa mère. MOI, je ne les aime pas ? Avec tout le mal que je me donne pour les recevoir, les chouchouter, veiller sur eux. Tu n'as pas honte, ingrate, de m’accuser d’une chose pareille ?
— Bon, d'accord, j'exagère, temporise Rose. Mais reconnais quand même que tu n'arrêtes pas de les critiquer : ils sont capricieux, désobéissants, difficiles, que sais-je encore… Tu crois que ça me fait plaisir ?
— Si tu les élevais mieux, nous n'en serions pas là. Jamais tu ne les contraries, jamais tu ne leur imposes la moindre contrainte. Ils ont tous les droits. L'enfant-roi, comme en Orient.
La réflexion atteint Rose pile au point sensible.
— Et alors ? vocifère-t-elle. Qu'est-ce que tu as contre les Orientaux ? Tu es raciste, en plus ?
Il faut l'intervention de Marcel, alerté par les éclats de voix, pour calmer le jeu.
— Viens, dit-il a sa femme, en la poussant doucement dehors. Laisse ta fille agir avec ses enfants comme elle l’entend, ce ne sont pas tes oignons.
La porte se ferme sur eux, au grand soulagement de Rose qui écoute leur pas décroître marche après marche avant d'exploser : 
Putaiiin, qu'est-ce que je fous dans ce pays de merde ?
L'accumulation de contrariétés — la double déconvenue de tout à l'heure, d'abord, et maintenant, cette dispute —, ont raison de ses nerfs.
— Dire que j'étais si bien, à Zouk, s'effondre-t-elle. Pourquoi, mais pourquoi j'ai accepté de partir ?
Ah, si c'était à refaire… Pour rien au monde elle ne se laisserait embarquer dans cette galère. Elle resterait au Liban, envers et contre tout.  Quitte à décevoir Amir. Quitte à le perdre, tiens ! Quitte à divorcer !
— Il m'a bien eue, cet enfoiré, avec ses élucubrations. Paris, le succès, la gloire… Du vent, oui ! De la poudre aux yeux. Et moi qui ai marché comme une idiote, qui ai tout abandonné pour le suivre : ma maison, mon village, mon boulot, ma chienne… Et pourquoi ? Pour venir m'enterrer dans ce trou à rats où j'ai l'impression de retomber en enfance. Quel gâchis lamentable ! Tout ça parce que môssieu ne pense qu'à sa carrière. Môssieu veut devenir une vedette. Vedette, mon cul ! Pauvre mec, va…
Et, occultant les raisons personnelles qui l'ont poussée vers cet exil, elle voue son mari aux gémonies — ce qui ne fait qu'accroître son désarroi. 




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