lundi 22 août 2016

ROSE 113

                  SAUVÉE !

   L'arrivée d'Amir, quelques jours plus tard, met heureusement un terme à l'escalade. Dans ses bras, Rose retrouve un semblant de paix, pleure beaucoup, râle énormément. Et le somme de la tirer illico du bourbier dans lequel elle s'enlise.
         Il s'y emploie bon an mal an, avec l'aide de son beau-père que la dégradation des relations entre "ses femmes" tracasse de plus en plus.
— Elles sont aussi intolérantes l'une que l'autre, lui explique ce dernier, dans l'un de leurs rares moments de tête-à-tête. Comment veux-tu qu'elles s'entendent ? Chacune s'enferre dans ses convictions, en refusant d'office le moindre compromis. Suzanne en rajoute dans le côté martyre-dévouée-incomprise, Rose nous rejoue la séquence de l'adolescente en crise, et les gosses se retrouvent tiraillés entre les deux. Ça ne peut pas durer.
— Que faire, alors ? se désole Amir. Rien n'est prêt, à Paris, pour les recevoir, et j'ai du travail par-dessus la tête. Si seulement Rose voulait faire un effort, tenir encore un mois ou deux.
Ça, n'y compte pas. Je… Oh, nom d'un chien !
D'un coup, les traits de Marcel se sont illuminés. Archimède devait avoir cette expression lorsqu'il jaillit de sa baignoire en criant : « Euréka ».
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'empresse son gendre.
— Je viens peut-être de trouver LA solution.
Il marque un temps d'arrêt pour ménager le suspense puis, tel le prestidigitateur sortant un lapin de son chapeau :
— La tante Ida, énonce-t-il, en détachant glorieusement chaque syllabe.
Ça, ce n'est pas une mauvaise idée.
C'en est même une excellente ! À peine émise, la proposition suscite l'enthousiasme de Rose. Suzanne, en revanche, est plus mitigée.
— Ma sœur vieillit, elle a du diabète, objecte-t-elle. On ne peut pas lui imposer une charge pareille.
Je l'aiderai, dit Rose.
Petit ricanement incrédule :
— Mouais… je t'ai vue à l'œuvre. Tu balsines*, tu brasses de l'air, mais pour ce qui est de poigner* dans l'ouvrage…
— Forcément, tu me rabroues sans cesse sous prétexte que je fais tout de travers.
— Si vous appeliez Ida au lieu de vous chamailler ? s'interpose Marcel. C'est à elle de décider, saperlipopette !
L'intéressée, consultée, applaudit. Elle se sent si seule, depuis son veuvage… La présence de sa nièce et de ses petits-neveux mettra un peu d'animation dans sa "grande baraque vide"!
Lors, en dépit des réserves de Suzanne — qui supporte mal d'être dépossédée de sa descendance, fût-ce au profit de sa propre sœur —, Rose boucle ses bagages.
— Nous t'emmènerons lundi à Liège, après avoir reconduit ton mari à la gare, décrète Marcel.
Tu n'ouvres pas le magasin, ce jour-là ? 
Non, c'est le 1er mai.

Ainsi font-ils. De sorte qu'en dépit du départ d'Amir, de l'avenir incertain et de l'amertume des huit derniers jours, Rose a le sourire. Un sourire un peu fragile, il est vrai. Légèrement crispé. Mais qu'elle gardera, plaqué sur ses traits, jusqu'à destination.


* Balsiner : traînailler
* Poigner dans l'ouvrage : foncer dans l'ouvrage
                         

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