mardi 2 août 2016

ROSE 95

LE RETOUR DU VOYAGEUR

Le télégramme arrive le vendredi suivant : Rentre samedi 20 h 16 stop Tendres baisers stop Amir. Enfin ! Rose en pleurerait de joie.
            — Il faut remettre ma maison en ordre, déclare-t-elle à son beau-frère.
Dès l'aube, donc, tous deux retroussent leurs manches, chargent la voiture et réinstallent chaque objet à son emplacement d'origine. Avec le retour imminent d'Amir, les angoisses de Rose se sont envolées, au point que même l'éventualité d'une rencontre avec celle qu'elle surnomme à présent "l'étrangleuse de chat " la laisse de marbre. Pour autant que son beau-frère soit à proximité, bien entendu. Prêt à s'interposer entre elles deux.
Conscient de son rôle de protecteur, Rachad ne la quitte pas d'une semelle. En pure perte, d'ailleurs : l'étrangleuse de chat ne se manifeste pas.
En fin d'après-midi, la maison Tadros brille comme un sou neuf. Rien ne permet de soupçonner qu'un quelconque drame s'y soit déroulé — hormis, peut-être, dans un coin du jardin, le petit monticule de terre fraîchement remuée qui abrite la dépouille de Bébête.
             — On a jute le temps de casser la croûte avant de filer à l’aéroport, annonce Rachad en regardant sa montre.
Rose acquiesce, radieuse. L'activité fébrile qu'elle déploie depuis le matin lui a permis de tromper son impatience, mais maintenant que le moment tant attendu approche, elle ne tient plus en place.
           — Papa sera bientôt là ! Papa sera bientôt là ! serine-t-elle à ses fils sur tous les tons.
Et rejaillissent en elle les forces vives mises en stand by depuis des semaines.
            — Tu as l'air d’une jeune fille avant son premier rendez-vous, la taquine Omane, assise en tailleur sur le lit du salon, sa fille sur les genoux.
            — Toi, occupe-toi de tes carottes et pas de mes oignons, rétorque Rose en riant.
Depuis quelques jours, en effet, Omane essaye de faire absorber à Nadège autre chose que son lait (en l'occurrence, une ou deux bouchées de la purée de légumes qu'Olivier, pour sa part, dévore gloutonnement). Mais l'expérience ne s'avère guère concluante. La mâchoire soudée, le regard plus noir que jamais, Nadège résiste, opposant aux sollicitations de sa mère un refus aussi muet qu'obstiné.
            — Quelle patience tu as, ma chérie, admire Rachad.
 C'est ma fille, habibi *!
Alors, lui, doucement :
Non, la nôtre.
Ils se regardent. Pour la première fois, sans doute, depuis longtemps. Un mystérieux dialogue s'échange avec les yeux, au terme duquel Omane tend la cuillère. En réponse, Rachad prend l'enfant et, à son tour, tente l'impossible. 
            — Viens préparer le repas, dit Rose, entraînant sa belle-sœur vers la cuisine.
La diva s'éloigne à regret. Lorsqu'elle revient, un quart d'heure plus tard, chargée d'un plateau quelle pose sur la table basse, Nadège a des carottes tout autour de la bouche.
            — J'y suis arrivé, triomphe Rachad — comme il annoncerait : "J'ai gagné le tour de France".
Omane, stupéfaite : 
Comment as-tu fait ?
Autorité paternelle, répond-il, l'œil de velours.
Et, posant la cuillère, il enlace sa femme.


                                                                        * Habibi : chéri



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