dimanche 4 septembre 2016

ROSE 126

               LE BAISER QUI TUE

Le séjour d'Amir se déroule comme un songe. Jusqu'à son départ, il n'est plus question de "l'ami d'enfance", ni de reproches, ni de rien qui fâche. Juste de projets et de promesses. Et de câlins, de câlins, de câlins…
Le lundi matin, afin de ménager sa susceptibilité, Rose le raccompagne à la gare en trolleybus. Mais au moment de partir :
— Tu ne me quitteras jamais, habibté ? lui glisse-t-il dans le creux de l'oreille. 
Nous y voilà !
— Si je devais te perdre, ma vie n'aurait plus aucun sens, ajoute-t-il, en plongeant ses yeux noirs dans les siens.
  Crétin… murmure-t-elle tendrement.
Ils s'embrassent une dernière fois. Un baiser-morsure, dans lequel Amir met toute son inquiétude, plus une petite menace que Rose perçoit clairement. « Si tu me trompes, gare à toi ! » disent ses dents. Le langage des signes, ça s'appelle.
  T'es vraiment le roi des cons ! feule-t-elle, en s'essuyant la bouche.
Sans répondre, il saute sur le marchepied.
— Tu ferais mieux de t'attaquer aux vrais problèmes au lieu d'en inventer des faux ! lui crie-t-elle.
  Comme quoi ?
— Le fait qu'au bout d'un mois et demi, tu n'aies toujours pas trouvé de logement !
L'instant d'après, le train démarre. Et Rose reste sur le quai, bras ballants, avec sa lèvre qui brûle et une enclume dans la poitrine.
« Ah, ces mecs avec leur jalousie ! » rumine-t-elle, en reprenant le trolley en sens inverse.
À l'horizon défilent les terrils. Lorsqu'elle était enfant, ces cônes noirâtres, posés dans la campagne « comme des verrues sur le menton d'une vieille » (selon l'expression favorite de Marcel Vermeer), faisaient naître en elle une joie tumultueuse, car ils annonçaient le terme du voyage. Elle savait qu'une vingtaine de minutes plus tard, une fois la Meuse franchie, la voiture aborderait la côte menant "au Thiers" où l'attendaient les prés, les bois, Etienne… La liberté !
Mais une cuisante douleur venait tempérer ce bonheur, car il fallait d'abord qu'elle traverse une épreuve.
Et pas n'importe laquelle : la séparation d'avec sa mère.
Le déchirement était toujours terrible. Elle avait beau se dire que ce n'était pas pour longtemps, qu'Ida remplacerait avantageusement Suzanne, et que dès le lendemain, elle n'y penserait plus, rien n'y faisait. En voyant disparaître la voiture de ses parents, Rose se sentait comme… amputée.
Elle est toujours la même. En vérité, nul ne grandit, malgré les apparences. On est soi, une bonne fois pour toute. Derrière le masque de l'âge, chacun reste à jamais le petit garçon ou la petite fille qui a peur du noir, croit au père Noël et pleure en regardant partir sa mère…
  Amir… pense Rose, désemparée. Amir, mon amour…
Tout au plus transpose-t-on, parfois !



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