samedi 24 septembre 2016

ROSE 146

























UN NOUNOURS NOMMÉ JEAN TARDIEU

                                  
                                  
Quand ze serai grand, ze veux être clown, annonce Grégoire.
En voilà une idée !
Comme le mari de ma maîtresse.
Rose lève les yeux au ciel.
Qu'est-ce que c'est encore que cette invention ?
En fait, ce n'en est pas une. Le mari de Lili est réellement clown, confirmation lui en est donnée par l'intéressée elle-même. Celle-ci précise qu'il est membre d'une troupe, Les Clounes — « ah ! ah ! » s'esclaffe Rose —, qui est en train de s'imposer dans le milieu du spectacle.
— Ils ne se contentent pas de faire les andouilles sur scène, explique la jeune femme aux dents de castor, mais ont un vrai discours, des sketchs structurés. À travers leurs grimaces et leurs cabrioles, ce sont les aberrations de la société qu'ils dénoncent. Vous devriez venir les voir : ils passent le 23 au théâtre Jean Tardieu, à côté de la bibliothèque.
Ça me plairait bien, dit Rose, mais…
Mais ?
Comment avouer que trois places (même deux, Olivier ne paie peut-être pas encore ; même une et demie, à la limite) grèverait lourdement son modeste budget ?
L'institutrice n'est pas idiote ; elle a compris.
— J'ai droit à quelques billets gratuits, si vous voulez en profiter…
Dans ce cas, ce sera avec plaisir.

Cette conversation n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Si bien que, le soir même :
— Dis bonzour à Zantadieu, serine Grégoire à son frère. 
Bredouillis incompréhensible d'Olivier.
— Zan-ta-dieu, articule Grégoire. Allez, répète après moi : Zan-ta-dieu !
Intriguée, Rose s'approche.
Qu'est-ce que tu racontes ?
         — Ze veux qu'Olivier dit bonzour à mon nounours, explique Grégoire.
— Ton nounours s'appelle Jean Tardieu ?
— Oui, comme le mari de ma maîtresse.
Rose, morte de rire :
— Le mari de ta maîtresse ne s'appelle pas Jean Tardieu, c'est le nom du théâtre où on va aller le voir. Et c'est aussi celui d'un grand poète — qui a écrit un truc très drôle, intitulé Conversation. Attends que je m’en souvienne… Comment ça va sur terre ? Ça va, ça va bien. Les petits chiens sont-ils prospères ? Mon Dieu, oui, merci bien. Et les nuages ? Ça flotte. Et les volcans ? Ça mijote. Et votre âme ? Elle est malade, le printemps était trop vert, elle a mangé trop de salade… J'ai oublié le reste.
De l'index, elle chatouille le nez de son fils aîné.
— N'empêche, je crois que tu es le seul petit garçon au monde qui ait donné un nom de poète à son nounours.
Ma parole, ça la rend toute fière !




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