samedi 5 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 24





















                                                                  TOTAL RECALL



         Je n’ai pas la mémoire des chiffres. De sorte qu’au réveil de l’anesthésie, quand on me demanda quel numéro appeler pour rassurer mes proches, je fus incapable de répondre.  Castor, qui s’était fait éjecter de la chambre dès mon entrée au bloc, ayant embarqué toutes nos petites affaires — y compris mes lunettes et mon téléphone portable —, je ne pus donner que mon fixe et celui de Mélanie. Manque de bol, les conditions climatiques déplorables rejaillissaient sur la connexion internet du village, si bien qu’aucun des deux ne marchait. Il fallut donc attendre le matin pour que ma p’tite famille puisse joindre le standard de l’hôpital.
         En attendant, j’étais bel et bien éveillée, et je pétochais grave. L’impression terrifiante de ne plus être soi-même, vous connaissez ? Je crois n’avoir jamais rien éprouvé de pire. Ce n’était pas tant le fait qu’on m’ait tripatouillé le cerveau — ça, après tout, c’était juste une vue de l’esprit : je n’avais mal nulle part et je ne me sentais même pas abattue. En revanche, je ne reconnaissais rien. Cette salle de réa  où je stagnais dans une demi-conscience hallucinée m’évoquait les décors des livres de Philippe K. Dick. J’étais, comment dire ?  Passée de l’autre côté, voyez ?  Dans un univers parallèle qui ressemblait au nôtre,  mais en décalé. La juxtaposition approximative entre cet ersatz de réalité et la réalité réelle laissait transparaître la supercherie. Ces infirmières, qui entraient de temps à autre sur la pointe des pieds vérifier les cadrans,  n’étaient que des robots ; des androïdes programmés pour me leurrer. Leurs allées-et-venues silencieuses en attestaient : elles ne marchaient pas, elles se déplaçaient en apesanteur  à quelques centimètres du sol. L’on m’expliqua plus tard que ce délire paranoïaque — particulièrement aigu chez quelqu’un dont l’imaginaire, depuis tant d’années, barbotait dans les eaux troubles du fantastique et de la SF — était dû à l’anesthésie, ainsi qu’à la morphine qu’on m’avait injectée pour calmer la douleur.



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