lundi 14 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 33





















                                                              DES RIRES DANS LA NUIT

         Allongée dans le noir, j’écoutais le chant des grenouilles montant de la vallée, en fredonnant intérieurement  cette chanson de mon enfance :

                          La nuit est limpide
                          L’étang est sans ride
                          Dans le ciel splendide
                          Luit le croissant d’or

                          Orme, chêne ou tremble
                          Nul arbre ne tremble
                          Au loin le bois semble
                          Un géant qui dort

                          Chien ni loup ne quitte
                          Sa niche ou son gîte
                          Aucun bruit n’agite
                          La terre au repos

                          Alors, dans la vase
                          Ouvrant en extase
                          Leurs yeux de topaze
                          Chantent les crapauds…

         Ce fut au milieu du dernier couplet que les rires éclatèrent. Des rires parfaitement incongrus dans le contexte. Je m’arrêtai de respirer. Le village, peuplé en majorité de gens âgés, est toujours silencieux, la nuit…
         Dans l’ombre bruissante, ces rires — issus, bien sûr, de mon imagination —  semblaient me narguer. Me revinrent en mémoire d’autres hallucinations auditives qui, depuis quelques mois m’assaillaient régulièrement. Une rumeur de pluie, entre autres, qui, même par temps sec, m’emplissait les oreilles dès que je fermais les yeux. Ou la sensation qu’un groupe de personnes discutait sous ma fenêtre sans que je puisse comprendre ni de qui il s’agissait, ni de quoi ils parlaient. Bien qu’intriguée, je n’avais pas vraiment prêté attention à ce brouhaha interne (qui évoquait pour moi le titre d’une autobio de Steven Tyler : « Est-ce que le bruit dans ma tête vous dérange ? »). Mais là, il s’agissait de tout autre chose. Pas d’un murmure diffus qui vous hante presque à votre insu ; plutôt de la bande son d’un cauchemar… 
         En gros, ces rires surgis de nulle part me donnaient la chair de poule.
         Ils m’épouvantaient littéralement.
         C’était la quintessence de ma réalité altérée ; la preuve indéniable que je perdais la boule.
         J’allais céder à la panique quand la voix de Castor me chuchota à l’oreille :
— On ne s’ennuie pas dans ton village, dis donc !
Ce fut comme une main m’arrachant à l’abîme.  Une bouée dans l’océan d’effroi où je sombrais.
—Tu… tu entends, toi aussi ?
  Evidemment : une bamboula pareille, faudrait être sourd !
La reconnaissance me jeta contre lui, et nous fîmes l’amour comme jamais.

              J’appris le lendemain que les copains de Yohann — le jeune bûcheron mort dans la forêt —  lui avaient rendu ce dernier hommage, ma foi fort émouvant : une promenade nocturne dans les rues qu’il aimait. Ces rires soulageaient la tension nerveuse qui les oppressait depuis des heures. Ce fut, je le suppose, leur ultime manière de communiquer avec lui, par-delà les paroles et par-delà les pleurs.










                                              

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